Dans le but de favoriser l’accessibilité du régime canadien de recours commerciaux, le gouvernement fédéral a apporté des modifications à la Loi sur les mesures spéciales d’importation (LMSI) ainsi qu’à la Loi sur le Tribunal canadien du commerce extérieur (Loi sur le TCCE).
Ces changements découlent des consultations publiques menées par le ministère des Finances du Canada qui ont eu lieu entre le 6 août et le 2 décembre 2021. Ils ont notamment pour objectif de rendre plus accessible le système de recours commerciaux aux PME et aux associations syndicales.
Suivant la sanction royale du Projet de loi C-19, les changements législatifs entrés en vigueur le 23 juin 2022 visent cinq domaines spécifiques.
1. Favoriser l’accessibilité et la participation des travailleurs syndiqués pour certaines plaintes
La Loi sur le TCCE a été modifiée afin de permettre aux associations syndicales de déposer des plaintes relatives aux mesures de sauvegarde globales et des demandes de prorogation de mesures de sauvegarde. Ce type de recours vise plus particulièrement les cas où certaines marchandises sont importées au Canada en quantité tellement accrue et à des conditions telles que leur importation cause ou menace de causer un dommage grave aux travailleurs et aux emplois au Canada. Les regroupements de salariés pourront désormais déposer des plaintes au nom des producteurs nationaux, qu’elle soit appuyée directement ou non par ceux-ci.
Cet ajout législatif sera intéressant à surveiller dans les prochaines années, car il n’est pas obligatoire que les producteurs nationaux soutiennent directement la plainte. Les critères d’ouverture continuent toutefois de s’appliquer. En effet, selon la loi, la plainte doit être présentée par les producteurs nationaux d’une « part importante » (généralement 35% de la production canadienne) des marchandises similaires ou directement concurrentes produites au Canada, ou en leur nom, c’est-à-dire par un regroupement syndical dont les membres sont engagés dans la production canadienne de marchandises similaires ou directement concurrentes.
Or, dans les faits, il demeurera difficile qu’un syndicat puisse intenter de tels recours sans obtenir un minimum de soutien de la partie patronale des producteurs nationaux puisque ces recours doivent être étayés par des éléments de preuves suffisamment détaillés, portant notamment sur les profits, les ventes, les liquidités, les pertes, les parts de marché, le niveau de productivité de l’industrie.
2. Renforcer la protection offerte aux producteurs nationaux et aux salariés au Canada
Les critères nécessaires afin de démontrer l’existence de dommage sont légèrement assouplis et simplifiés. Seront désormais prise en compte, dans toute évaluation d’un « dommage », l’incidence sur « les travailleurs de la branche de production nationale » et sur « les emplois » au Canada. En effet, la loi ajoute deux nouvelles dispositions interprétatives qui devront guider le Tribunal canadien du commerce extérieur (ci-après, « le Tribunal ») dans son évaluation du dommage. Celui-ci devra prendre en compte les « incidences » aussi variées soient-elles, sur les travailleurs et sur les emplois au pays. Ce type de disposition interprétative pourrait voir augmenter les chances de succès des plaintes au stade de l’évaluation du dommage, bien que les situations où le Tribunal estime qu’il y a une absence de dommage causé aux producteurs nationaux soient plutôt rares.
Enfin, est également modifiée le délai pour transmettre les avis des plaintes aux autorités exportatrices. En matière d’enquête en dumping, les gouvernements des pays d’exportation seront désormais avisés du dépôt de plaintes au Canada sept jours plutôt que vingt-et-un jours à l’avance. De cette façon le Canada réduit de manière significative la capacité qu’avaient auparavant les exportateurs étrangers d’écouler rapidement leurs produits sur le marché canadien avant qu’une enquête soit menée, et ce, sans être forcés à payer des droits antidumping s’ils étaient ensuite pris en défaut.
3. Élargir les critères en matière d’enquêtes sur le contournement
Dans leurs plaintes, les producteurs nationaux canadiens n’auront plus à démontrer que l’imposition de droits antidumping ou compensateurs « est la principale cause » du changement de la configuration des échanges commerciaux, mais plutôt que si cela « a été causé » entendu comme étant l’une des causes possibles. Les plaignants n’auront désormais plus qu’à fournir « une indication raisonnable de contournement ». La loi assouplie ainsi quelque peu l’un des critères essentiels d’ouverture des enquêtes anticontournement, mais il demeure assez complexe de démontrer que l’assemblage voire la légère modification de marchandises par des procédés minimaux, dans un pays tiers, est causé vraisemblablement par l’imposition de droits antidumping ou compensateurs. Aucune enquête anticontournement n’a, à ce jour, été intentée au Canada, ce genre de recours pourrait bien gagner en importance dans les prochaines années.
4. Élargir les critères d’interprétation en matière d’importations massives
Lorsque le Tribunal fera enquête au stade provisoire, il sera dans l’obligation d’analyser les situations potentielles d’importations massives. Cette nouvelle prescription a pour but de forcer le Tribunal a systématiquement analyser les cas de possibles importations massives. Suivant le dépôt d’une plainte, le Tribunal devra désormais procéder à l’enquête systématique de toutes les causes de dommages énumérés dans la loi, dont celle portant sur les importations massives de produits étrangers.
La loi vient également modifier les critères d’imposition de droits rétroactifs en cas d’importations massives, ce qui offrira une meilleure protection aux producteurs nationaux dans les 90 jours précédents l’ouverture d’une enquête.
5. Rendre obligatoires les réexamens relatifs à l’expiration des ordonnances
À défaut de réexamen relatif à l’expiration, une ordonnance antidumping est généralement réputée caduque à l’expiration de 5 ans à partir de la date des conclusions. Pendant ces années, il arrivait parfois qu’une industrie nationale subisse des changements organisationnels, opérationnels ou autres, qui l’empêchent de demander au Tribunal une prorogation de l’ordonnance dans les délais et selon la forme prescrite. Désormais, le Tribunal procédera automatiquement au réexamen relatif à l’expiration, sans que l’industrie nationale ait à intenter quelconque procédure, et pourra mettre fin à un réexamen s’il constate que les producteurs nationaux ne soutiennent vraisemblablement pas la reconduction de l’ordonnance.
Ce type de mesure vient ainsi institutionnaliser les examens relatifs à l’expiration, mais également à favoriser les producteurs nationaux de grandeur modeste ou qui ne disposent pas du temps ou des ressources suffisantes pour se mobiliser devant le Tribunal afin de faire valoir leurs préoccupations. De plus, cette mesure pourrait augmenter les chances que certaines ordonnances ou conclusions rendues par le Tribunal soient à nouveau reconduites par celui-ci pour une période de cinq ans.
Conclusion
En conclusion, mentionnons que les changements législatifs apportés ne s’appliquent pas aux procédures intentées avant le 23 juin 2022.
Il sera intéressant d’observer à quel point les PME et les associations syndicales se sentiront interpellées par ces changements qui demeurent somme toute limités et spécifiques.
Si vous-mêmes, votre association ou votre entreprise avez des questions relatives aux recours commerciaux au Canada, n’hésitez pas à communiquer avec l’un de nos conseillers juridiques.
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