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Refus d’agrément : c’est entendu

20 avril 2019

La Cour d’appel de Paris est de longue date saisie d’actions engagées par des candidats à l’accès au réseau de distribution sélective qualitative s’étant vu refuser l’agrément du fournisseur alors même qu’ils se conformaient, ou étaient susceptibles de se conformer, aux critères sélectifs conditionnant l’accès au réseau.

Depuis plusieurs années, le refus d’agrément était examiné par la Cour sous l’angle prioritaire du principe de la liberté contractuelle, qui se combinait, lorsque le candidat était un ancien membre du réseau qui en avait été écarté, avec le principe de prohibition des contrats perpétuels. Dans l’exercice de sa liberté contractuelle, le fournisseur pouvait ainsi refuser, quasi-discrétionnairement, d’agréer un candidat à l’accès au réseau quand bien même celui-ci se trouve en conformité, ou s’engage à se mettre en conformité, avec les critères qualitatifs de sélection.

Certes, la Cour prenait soin de rappeler que l’exercice de la liberté contractuelle s’entendait dans la limite de l’ordre public, bien-sûr, mais aussi de l’absence de pratique anticoncurrentielle. Cependant, la Cour écartait systématiquement la dimension anticoncurrentielle du refus d’agrément en le considérant, « par nature », comme un acte unilatéral insusceptible de caractériser une entente.

Par une série d’arrêts rendus entre décembre 2018 et mars 2019, la Cour d’appel de Paris (pôle 5, chambre 4) a fixé puis détaillé sa position sur le refus d’agrément à l’aune du droit des pratiques anticoncurrentielles. Ces arrêts marquent une évolution importante dans la mesure où, s’alignant sur une position ancienne de la Cour de Justice de l’Union européenne1 mais contredisant en partie une position plus récente de cette même Cour de Justice2, la Cour d’appel de Paris considère désormais que dans un système relevant de la distribution sélective, le refus d’agrément constitue non pas un acte unilatéral, mais une pratique concertée susceptible d’être qualifiée d’entente et de revêtir alors un caractère anticoncurrentiel, selon l’appréciation qui sera portée sur l’objet et/ou l’effet de la pratique.

La Cour a précisé son raisonnement au fil des arrêts. Dans un premier arrêt3, elle a adopté (pour la 1ère fois à notre connaissance) la position selon laquelle un refus d’agrément peut constituer une entente verticale anticoncurrentielle entre le fournisseur et les membres de son réseau s’il a un objet ou un effet anticoncurrentiel, c’est-à-dire s’il s’insère « dans une politique générale du fournisseur visant à exclure une ou des formes déterminées de distribution qui seraient aptes à distribuer les produits en cause, à créer des barrières artificielles à l’entrée sur le marché de la distribution des produits concernés ou à éliminer des distributeurs menant une pratique de prix bas ».

Le refus d’agrément n’est donc plus considéré comme un acte unilatéral, tel qu’il l’était dans la jurisprudence antérieure.

Cette position a été réitérée le 23 janvier 2019 dans une affaire automobile4, à l’occasion du refus d’agrément opposé à un réparateur agréé qui revendiquait le renouvellement de son contrat. La Cour a confirmé qu’un refus d’agrément non-discriminatoire (justifié par le fait que le candidat ne satisfait pas aux critères sélectifs qualitatifs) constitue « un accord de volontés entre fabricant et distributeurs » et non une pratique unilatérale, dans la mesure où par la seule signature des contrats de distribution, le fournisseur et les distributeurs « consentent par avance (…) aux critères de sélection et au principe de leur
application non-discriminatoire
». En toute logique, la Cour ajoute alors qu’il n’est pas envisageable qu’un refus d’agrément non-discriminatoire constitue un accord de volontés, alors qu’un refus d’agrément discriminatoire n’en constituerait pas un …

Une fois cette règle rappelée, la Cour examine le refus d’agrément au regard du droit des ententes. Au cas particulier qui lui est soumis, elle juge que ce refus d‘agrément, qui est isolé, est justifié par un désintérêt pour la marque (elle évoque une perte de confiance) et non par une volonté de porter atteinte à la concurrence. Il n’y a donc pas d’objet anticoncurrentiel.

Il n’y a pas non plus dans cette affaire d’effet anticoncurrentiel dans la mesure où de facto, la Cour constate que le refus d’agrément n’élimine ni ne restreint la concurrence. A cet égard, elle relève que la concurrence sur le marché de l’entretien et de la réparation des véhicules (de la marque) est réelle, « de sorte que la circonstance qu’un réparateur agréé sorte du marché est indifférente pour les clients », qui disposent de multiples solutions alternatives pour faire entretenir leur automobile.

Le réparateur est en conséquence débouté.

On retrouve un raisonnement identique dans une autre affaire automobile, ayant donné lieu à un arrêt du 27 mars 20195. La Cour confirme que « le droit des ententes est applicable à un refus d’agrément dans un réseau de distribution sélective »6, puis juge qu’au cas d’espèce, il n’y a pas objet anticoncurrentiel puisque le refus d’agrément (isolé) ne s’inscrit pas dans une politique générale qui aurait pour objet « d’exclure une forme déterminée de distribution ». Aucun effet anticoncurrentiel n’est davantage caractérisé, ceci sur la base de constats proches de ceux faits dans l’affaire Mazda.

Cet arrêt doit cependant être remarqué dans la mesure où, avant toute appréciation de l’éventuelle pratique anticoncurrentielle, la Cour prend soin de rappeler qu’un fournisseur n’a pas par principe d’obligation d’agréer tout opérateur satisfaisant aux critères de sélection dans un système de distribution sélective, ceci en raison du principe de liberté contractuelle7, de même qu’un fournisseur n’a « aucune obligation d’agréer à nouveau un distributeur après la résiliation de son contrat, même s’il remplit les critères, les engagements perpétuels étant prohibés8 ».

Reste maintenant à connaître la position de la Cour de cassation, si elle se trouve saisie de la problématique de l’application du droit des ententes au refus d’agrément.


Notes

1CJCE, 25 octobre 1183, AEG c. Telefunken

2CJCE, 13 juillet 2006, Commission c. Volkswagen

3CJCE, 12 décembre 2018, Concurrence c. Sony Europe Ltd, marché des téléviseurs

4Automobiles Palau c. Mazda Automobiles

5Oustric c. Jaguar Land Rover France (la décision, obtenue par le cabinet, est disponible sur le site www.viginti-avocats.com)

6La règle a entre-temps été réitérée par la Cour le 20 février 2019 dans une affaire automobile relevant cette fois de la distribution sélective quantitative : SIAC c. Renault

7Désormais codifié sous l’article 1210 du Code civil

8Le principe de prohibition des contrats perpétuels est lui aussi codifié sous les articles 1211 et 1212 du Code civil

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