Par un récent arrêt du 19 septembre 2024[1], la Cour de cassation a précisé les conditions qui doivent être remplies pour que les références soient retenues par les juridictions de l’expropriation dans le cadre de leurs évaluations.
La question est très importante puisqu’elle est au cœur des débats lors des procédures en fixation d’indemnité devant le juge de l’expropriation.
Il convient de rappeler que les juges de l’expropriation sont libres d’adopter les méthodes d’évaluation de leur choix dès lors que ces méthodes ne sont pas contraires aux règles prescrites par le code de l’expropriation[2], à savoir notamment que :
- l’indemnité doit réparer le préjudice matériel et certain subi par l’exproprié[3],
- la consistance matérielle et juridique du bien s’apprécie à la date de l’ordonnance d’expropriation[4] (en d’autres termes, l’état du bien et sa situation d’occupation sont appréciés à la date de l’ordonnance d’expropriation),
- le bien est estimé à la date de la décision de première instance[5] (c’est-à-dire au regard de sa valeur vénale au jour où le juge de première instance statue).
Et c’est au regard de ces règles que le juge doit adopter la méthode d’évaluation qui lui paraît la plus pertinente.
Les termes de comparaison pris en considération par le juge pour déterminer l’indemnité revenant aux expropriés
En pratique, les juridictions optent, dans la majeure partie des cas, pour la méthode dite par comparaison, qui est une méthode qui consiste à sélectionner des termes de comparaison – des ventes ou des décisions judiciaires – portant sur des biens de même consistance que le bien exproprié, situés à proximité de celui-ci, pour en déduire une valeur unitaire qu’il appliquera à la superficie du bien exproprié.
Or, au-delà même de la pertinence de ces références, la question essentielle est de savoir quels termes de comparaison peuvent être pris en considération par le juge pour déterminer l’indemnité revenant aux expropriés.
Plus précisément, une question est récurrente dans le cadre de ces procédures : est-ce que les bases de données de type BIEN, pour les notaires, ou les bases accessibles au public, comme ETABLAB/DVF, sont susceptibles d’être retenues dans l’évaluation du juge ?
Par une décision du 19 septembre 2024, la Haute juridiction vient justement nous éclairer sur les conditions de prises en compte des termes de comparaison issus de ces bases de données.
Dans cette affaire, l’une des parties se prévalait d’une vente pour justifier de sa demande indemnitaire, en indiquant les références de publication, mais ne produisait pas l’acte en question.
La partie adverse soutenait en réponse que cette référence ne pouvait être prise en compte dans la détermination de l’indemnité, faute de produire l’acte.
La Cour de cassation profite de l’occasion pour donner une réponse un peu plus générale sur les conditions à remplir pour que ces références soient retenues par les juridictions de l’expropriation dans le cadre de leurs évaluations. Et elle nous dit ceci :
« 4. Pour fixer le montant de l’indemnité d’expropriation ou de délaissement, le juge apprécie souverainement les termes de comparaison issus des actes de mutation sélectionnés sur lesquels chaque partie se fonde pour retenir l’évaluation qu’elle propose, dès lors que celles-ci ont été en mesure d’en débattre contradictoirement.
5. Les termes de comparaison invoqués par les parties dans leurs conclusions, issus de bases de données accessibles au public, dès lors qu’ils comportent les informations énoncées à l’article R. 112 A-1 du livre des procédures fiscales et sont accompagnés des références de publication permettant, le cas échéant, l’obtention auprès du service de la publicité foncière des actes de mutation concernés, mettent les parties en mesure de débattre contradictoirement de leur bien-fondé ou de leur pertinence.
6. Le moyen, qui postule que ne peut être pris en compte, sauf à méconnaître le principe de la contradiction, un terme de comparaison comportant ses références de publication, s’il n’est accompagné de la production de l’acte de vente correspondant, n’est donc pas fondé. »
Les enseignements de cette décision
On peut tirer deux enseignements de cette décision :
Le premier, qui n’en est pas vraiment un pour les praticiens : on peut se dispenser de produire un terme de comparaison dès lors que les références de publication sont indiquées car les parties peuvent alors obtenir l’acte auprès du service de la publicité foncière. Elles sont donc en mesure de débattre contradictoirement de la pertinence de cette référence.
Il ne s’agit pas d’une nouveauté, car une grande majorité des juges du fond appliquent cette règle[6].
Le second enseignement concerne les bases de données susceptibles d’être utilisées par les parties et retenues par le juge.
En principe, nous dit la Cour, ces bases de données sont admissibles, tout en précisant que leur prise en compte suppose que deux conditions doivent être réunies :
- D’une part, ces termes de références doivent comporter les informations énoncées à l’article R. 112 A-1 du livre des procédures fiscales (Date et nature de la mutation ; prix ; adresse du bien ; références cadastrales et description du bien),
- D’autre part et surtout, ils doivent être accompagnés des références de publication (pour permettre de les commander et ainsi respecter le principe du contradictoire).
Or, si les bases de données en question peuvent indiquer les informations prévues à l’article R. 112 A-1 du livre des procédures fiscales, il est constant qu’aujourd’hui aucune de ces bases ne comportent les références de publication au service de la publicité.
Ainsi, même s’il est trop tôt pour dire quelle sera l’interprétation qui sera faite de cet arrêt par les juridictions de l’expropriation, tout porte à croire que cette décision confirme la jurisprudence dominante des juges du fond[7] s’agissant tant des bases des notaires (Ex : Base BIEN, ou PERCEVAL) que celles accessibles au public (ex : Base ETABLAB ou DVF) : dès lors que ces bases ne renseignent pas les références de publication, elles ne peuvent être prises en compte.
[1]. Cour de cassation, 19 septembre 2024, n°23-19.783, publié au bulletin
[2]. A titre d’illustration : Cour de cassation, civile, Chambre civile 3, 11 mai 2011, 10-14.599,
[3]. Art. L. 321-1 du code de l’expropriation pour cause d’utilité publique,
[4]. Art. L. 322-1 du code de l’expropriation pour cause d’utilité publique,
[5]. Art. L. 322-2 du code de l’expropriation pour cause d’utilité publique.
[6]. A titre d’illustration : Tribunal judiciaire de Créteil, 2 décembre 2022, RG n°22/00028
[7]. Tribunal de Grande Instance de Créteil, 31 janvier 2020, RG 19/00051.