Un conflit juridique dont le retentissement dépasse les frontières du droit, a récemment été soldé par la Cour de cassation.
En effet, d’importantes décisions ont récemment été rendues, lesquelles emportent déjà des conséquences majeures pour les constructeurs et les vendeurs, en particulier dans le secteur automobile.
Mise en contexte
Cela fait de nombreuses années que la première chambre civile et la chambre commerciale de la Cour de cassation d’une part, et la troisième chambre civile de ladite Cour d’autre part, s’opposent sur le régime d’application de la garantie des vices cachés, et en particulier sur les délais qui l’encadrent. Une divergence naissait entre ces deux camps, conduisant inévitablement à une situation d’insécurité juridique avérée.
Le 21 juillet 2023, la Chambre mixte de la Cour de cassation s’est saisie de cette problématique et a rendu quatre arrêts[1] mettant un terme à ces oppositions et uniformisant le droit.
Concrètement, cette chambre devait répondre à deux questions principales :
- Quelle est la nature du délai de deux ans de l’article 1648 du Code civil ?
- Comment le délai d’action en garantie des vices cachés est-il encadré ?
Ces décisions étaient extrêmement attendues, à tel point que, conformément aux dispositions de la loi sur la confiance dans l’institution judiciaire[2], la Cour de cassation a enregistré et diffusé l’audience. Cet enregistrment est mis à disposition par la Cour de cassation.
Première question
Le délai de deux ans de l’article 1648 du Code civil est-il un délai de prescription ou de forclusion ?
L’article 1648 du Code civil prévoit que l’action en garantie des vices cachés doit être intentée par l’acquéreur dans un délai de deux ans à compter de la découverte du vice.
La première chambre civile et la chambre commerciale considéraient que ce délai était un délai de prescription, alors que, la troisième chambre civile de la Cour de cassation maintenait que ce délai était un délai de forclusion.
La Chambre mixte de la Cour a jugé que ce délai constitue un délai de prescription.
Cela implique que ce délai peut être interrompu (le délai repart de zéro) ou suspendu (le temps écoulé est conservé dans le décompte), contrairement au délai de forclusion qui, lui, ne peut faire l’objet que d’une interruption.
Il convient de préciser que, conformément aux dispositions de l’article 2239 du Code civil, la suspension intervient notamment pendant l’exécution d’une mesure d’instruction avant dire droit, en ce compris une mesure d’expertise judiciaire.
Les conséquences d’une telle qualification sont majeures. En pratique, il résulte de cette qualification que la possibilité pour un titulaire de ce droit d’engager une action sur le fondement de la garantie des vices cachés peut être considérablement allongé.
Explication pratique :
Lorsque le client a pris connaissance de l’existence d’un vice caché, il dispose d’un délai de deux ans pour agir sur le fondement de la garantie des vices cachés.
Ce délai est interrompu lorsque le client a assigné en référé-expertise pour obtenir la nomination d’un expert judiciaire.
Ce délai recommence donc à courir depuis le début – soit pour deux ans à nouveau – à compter du moment où l’ordonnance du juge des référés est rendue.
Toutefois, ce délai est alors suspendu jusqu’à la fin des opérations d’expertise judiciaires et ne recommence à courir qu’à partir du dépôt du rapport d’expertise.
Deuxième Question
Comment le délai d’action en garantie des vices cachés est-il encadré ?
Par principe, la découverte d’un vice est un évènement aléatoire. Selon le moment où il intervient, cet événement est donc susceptible de considérablement retarder la possibilité pour un acquéreur de se prévaloir de la garantie des vices cachés.
La question était donc de savoir si le délai de l’article 1648 du Code civil est lui-même encadré dans un autre délai – soit un délai dit « butoir » – et le cas échéant, à partir de quel moment ce délai butoir commence à courir et pour quelle durée.
La Chambre mixte de la Cour de cassation a jugé que :
Le délai de deux ans de l’article 1648 du Code civil est lui-même encadré par le délai butoir de 20 ans prévu à l’article 2232 du même Code.
Le délai butoir de 20 ans court à compter du jour de la vente conclue par la partie recherchée en garantie.
Pour retenir cette solution, la Chambre mixte a dressé un état des lieux des textes législatifs à disposition et a opéré le raisonnement suivant.
Elle rappelle la jurisprudence selon laquelle le point de départ du délai de prescription de l’article L 110-4, I du Code de commerce (5 ans), applicable pour les ventes entre commerçants ou entre commerçant et non commerçants, découle du droit commun de l’article 2224 du Code civil, applicable aux actions personnelles et mobilières, selon lequel le délai de prescription court à compter du jour « où le titulaire d’un droit a connu ou aurait dû connaître les faits lui permettant de l’exercer ».
La Cour a donc constaté que le point de départ glissant de la prescription extinctive des articles 2224 du Code civil et L 110-4, I du Code de commerce est en réalité le même que le point de départ de l’article 1648 du Code civil, alinéa 1er, à savoir la découverte du vice.
Dès lors, la chambre mixte déclare que ces délais ne peuvent plus être analysés en des délais-butoirs spéciaux encadrant l’action en garantie des vices cachés, puisqu’un délai-butoir – notion au demeurant non définie par le Code civil – démarre logiquement par un point fixe.
Ainsi, le régime général de l’article 2232, lequel prévoit un délai de 20 ans avec un point de départ fixe, demeurait la seule solution restante.
Par conséquent, la Cour de cassation en déduit que l’action en garantie des vices cachés doit être formée dans le délai de deux ans à compter de la découverte du vice (ou en matière d’action récursoire, à compter de l’assignation), sans pouvoir dépasser le délai-butoir de 20 ans à compter de la naissance du droit, lequel est, en matière de garantie des vices cachés, le jour de la vente conclue par la partie recherchée en garantie.
Dispositions transitoires : réforme de la prescription
De fait, il est nécessaire de considérer les ventes conclues avant la réforme de la prescription issue de la loi du 17 juin 2008 [3] laquelle avait prévu un dispositif transitoire (article 26).
Pour le cas des ventes mixtes (entre commerçants ou entre commerçants et non-commerçants), le délai-butoir est passé de 10 à 20 ans dans le cadre de la réforme. Dans ce cas, à la condition que le délai de prescription décennal ne soit pas expiré au 18 juin 2008 (date d’entrée en vigueur de la loi portant réforme de la prescription), le nouveau délai-butoir est appliqué, en tenant compte du délai déjà écoulé depuis la date du contrat conclu par la partie recherchée en garantie.
Pour les ventes civiles, le délai-butoir est passé de 30 à 20 ans dans le cadre de la réforme. Le délai-butoir de 20 ans est donc applicable à partir du jour de l’entrée en vigueur de la loi du 17 juin 2008, sans que la durée totale n’excède la durée prévue par la loi antérieure, soit 30 ans.
Commentaires
Ces décisions sont extrêmement défavorables au vendeur et au constructeur de véhicules.
En effet, le délai pendant lequel sa responsabilité peut être engagée au titre de la garantie des vices caché passe de 5 ans (position majoritaire jusque-là, reposant sur la prescription quinquennale de droit commun de l’article 2224 du Code civil et de l’article L 110-4, I du Code de commerce) à 20 ans.
Par conséquent, sont recevables l’action directe de l’acquéreur contre le fabricant [4] ou l’action récursoire du vendeur contre le fabricant [5] à condition qu’elles soient intentées moins de 20 ans après la vente (et, bien entendu, moins de 2 ans après la découverte du vice).
La Chambre mixte de la Cour de cassation a ainsi fait le choix de suivre l’analyse de la troisième chambre civile, ce qui confère au consommateur une protection des plus étendues.
Si cette solution est logique pour la troisième chambre, laquelle se trouve en charge du contentieux relatif aux biens immobiliers, elle peut paraître inadaptée pour d’autres secteurs d’activités, et notamment le secteur automobile.
En effet, s’il est concevable que des vices cachés apparaissent après une période relativement longue pour des immeubles, d’autres biens, tels que les véhicules automobiles, sont, eux, des produits dont l’usure est plus importante et rapide. Or, il sera désormais possible de prétendre devant un Tribunal qu’un véhicule est atteint d’un vice caché, et ce après 19 ans de bons et loyaux services, sans la moindre panne.
En somme, un constructeur ou un vendeur est potentiellement responsable de chaque véhicule qu’il vendra pendant une période de 20 ans.
Nul doute que cette jurisprudence donnera à de vieilles affaires une seconde jeunesse.
Conseils
Face à une situation aussi contraignante, quelques angles de défense peuvent être suggérés.
Tout d’abord, qualifier un vice caché nécessite évidemment de prouver que le bien est atteint d’un vice et ce depuis la vente, aussi lointaine soit-elle. Cela n’est pas toujours aisé, et la plupart du temps, la production d’un rapport d’expertise, souvent judiciaire, est indispensable. L’expert doit donc démontrer l’origine du désordre susceptible d’être qualifié de vice caché.
Il peut arriver que, confronté à l’impossibilité de déterminer avec précision depuis quand un vice existe, un expert soit amené à conclure que ce vice existait probablement préalablement à la vente.
Or, il faut rappeler que, s’il doit les prendre en compte, le juge n’est pas lié par les constatations et conclusions de l’expert judiciaire (article 246 du Code de procédure civile) et il demeure libre de les interpréter. En effet, l’une des conditions pour engager la responsabilité du vendeur au titre de la garantie des vices cachés est de démontrer l’existence au moment de la vente d’un vice qui rend le bien impropre à son usage normal.
Il ne sera pas confortable de prétendre qu’un véhicule était affecté d’un vice caché dès sa vente, tout en ayant fonctionné parfaitement pendant 19 ans … L’appel au bon sens est plus que jamais indispensable.
Par ailleurs, dans l’hypothèse d’une résolution de vente sur le fondement d’un vice caché après une longue période d’utilisation du bien en question, il reste judicieux, si la restitution du prix est ordonnée, d’invoquer l’article 1352-3 du Code civil, aux termes duquel la valeur de la jouissance du bien restitué est évaluée par le juge au jour où il se prononce. Il serait logique que le prix restitué tienne compte de l’utilisation avancée du véhicule.
Enfin, il est fortement recommandé aux constructeurs et vendeurs d’assurer une conservation optimale des documents de vente du véhicule, de l’historique de l’entretien, des réclamations du client liées au véhicule, etc.
Cela permettra de faire face au mieux à une action en garantie des vices cachés engagée par exemple 19 ans après la vente …
[1] Ccass. Ch. Mixte, 21 juillet 2023, n° 21-15.809 ;
Ccass. Ch. Mixte, 21 juillet 2023, n° 21-17.789 ;
Ccass. Ch. Mixte, 21 juillet 2023, n° 21-19.936 ;
Ccass. Ch. Mixte, 21 juillet 2023, n° 20-10.763 ;
[2] LOI n° 2021-1729 du 22 décembre 2021 pour la confiance dans l’institution judiciaire ;
[3] Loi n° 2008-56 du 17 juin 2008 portant réforme de la prescription en matière civile ; JO, 18 juin ;
[4] Ccass. Ch. Mixte, 21 juillet 2023, n° 21-17.789 ;
[5] Ccass. Ch. Mixte, 21 juillet 2023, n° 21-19.936 ;