Par décision du 26 janvier 2023, le Tribunal de commerce de Lille a, au terme d’une analyse détaillée et circonstanciée de la documentation contractuelle et des circonstances de l’espèce, condamné la société OVH à indemniser l’un de ses clients du préjudice subi à la suite de l’incendie survenu dans la nuit du 9 au 10 mars 2021 dans ses datacenters situés à Strasbourg et ayant entrainé la perte des données de sauvegarde qu’elle s’était contractuellement engagée à préserver.
L’intérêt de ce jugement est triple.
Sur la localisation des sauvegardes et la faute commise par OVH
La décision est d’abord intéressante car elle retient la responsabilité contractuelle d’OVH « du fait de son manquement contractuel à la réalisation des sauvegardes de son serveur ».
La responsabilité d’OVH a été retenue, en l’espèce, parce qu’elle était contractuellement tenue de réaliser des sauvegardes automatiques des données hébergées sur ses serveurs dans un espace de stockage physiquement isolé du serveur principal, de sorte qu’en cas de perte de données du serveur principal, le client puisse restaurer les données depuis les sauvegardes.
Dès lors, en stockant les trois réplications de sauvegardes au même endroit que le serveur principal, OVH n’a pas respecté ses obligations contractuelles et le client est donc bien fondé à demander la réparation des préjudices résultant de ce manquement.
Le Tribunal a en revanche écarté la qualification de faute lourde à l’égard de la sécurité anti-incendie du site de Strasbourg, relevant que « s’il est surprenant et inhabituel que la SAS OVH ait choisi de construire une partie de son datacenter de Strasbourg avec des containers maritimes recyclés et que ces derniers ne comportent pas de système d’extinction automatique », il n’est pas démontré que de tels choix ont « un lien de causalité avec l’incendie » ou encore qu’ils « enfreignent (…) la loi ou règlementation ».
Au contraire, selon le Tribunal, il ressort des pièces produites par OVH que « cette dernière a pris les mesures de précaution d’usage contre l’incendie », de sorte que la qualification de faute lourde est écartée en l’espèce.
Sur la neutralisation de la clause de « Force majeure » par application de l’article 1170 du Code civil
L’intérêt de la décision réside ensuite dans le sort réservé par les juges lillois à la notion de force majeure.
En l’espèce, le contrat OVH prévoyait une liste d’événements et/ou circonstances – parmi lesquels « les incendies (…) les inondations et explosions, ainsi que les coupures d’électricité en dehors du contrôle de la Partie affectée » – pré-qualifiés comme étant constitutifs de cas de force majeure.
Or, comme le souligne le Tribunal, du fait de sa rédaction, il résulte d’une telle clause qu’« en cas de sinistre, la SAS OVH n’est (…) jamais tenue de réaliser sa mission au moment où, pourtant, celle-ci est nécessaire ».
En effet, d’un point de vue opérationnel, la réalisation des copies de sauvegarde n’a d’intérêt pour le client qu’à la survenance d’un sinistre, ce dernier pouvant se reposer, en cas de sinistre, sur les sauvegardes pour restaurer les données.
Dès lors, une clause de force majeure qui a pour effet de libérer un prestataire de ses engagements, à savoir « réaliser les copies de sauvegarde et les mettre en sécurité » au moment précis où ceux-ci se révèlent nécessaires et utiles pour le client contredit l’essence même de l’obligation.
Dit autrement, une telle clause a pour effet de vider le contrat de sa principale obligation, et doit donc, par application de l’article 1170 du Code civil, être jugée non écrite.
Tel est le raisonnement circonstancié qu’a suivi le Tribunal pour neutraliser la clause 7.7 « Force majeure » du contrat OVH, déclarant celle-ci « non écrite ».
Sur la neutralisation des effets de la clause limitative de responsabilité par application de l’article 1171 du Code civil
Enfin, le jugement revêt un intérêt lié à la clause limitative de responsabilité prévue par le contrat OVH.
A nouveau, suivant un raisonnement didactique et après une analyse fouillée de la documentation contractuelle, le Tribunal a, par application de l’article 1171 du Code civil (« toute clause non négociable, déterminée à l’avance par l’une des parties, qui crée un déséquilibre significatif entre les droits et obligations des parties au contrat est réputée non écrite »), écarté le jeu de la clause limitative de responsabilité insérée au contrat.
Les juges lillois ont en effet déclaré cette clause non écrite aux motifs que, telle que pré-rédigée par OVH, celle-ci conduit in fine à limiter sa responsabilité à une somme plafonnée à 1 800,48 euros… ce qui est de nature à créer « une véritable asymétrie entre les obligations de chacun (….), cette clause transférant le risque sur l’autre partie de manière injustifiée et sans contrepartie pour cette dernière ».
Par ce jugement, le Tribunal rappelle que les clauses aménageant la responsabilité en cas de manquement contractuel doivent tenir compte du contexte opérationnel et de la nature particulière des prestations concernées, sous peine d’être invalidées, et ce d’autant plus lorsqu’il s’agit d’un contrat d’adhésion.
Néanmoins et comme souvent, la question se pose en des termes différents selon que l’on se place du côté du client ou de celui du prestataire.
En effet, là où le client pourrait, en cas de litige, tirer profit d’une qualification en contrat d’adhésion, par l’invalidation de clauses créant un déséquilibre significatif entre les droits et obligations des parties, il pourrait au contraire être opportun pour le fournisseur d’ouvrir des négociations plutôt que d’imposer la signature d’un contrat-type (et donc d’adhésion) dont certaines clauses, par construction non négociées, pourraient, dans le cadre d’un contentieux, se révéler inadaptées aux réalités opérationnelles et financières du projet concerné et donc être déclarées non écrites.
Responsabilité contractuelle – faute lourde (non) Contrats d’adhésion – Clause limitative de responsabilité (exclusion) – clause de force majeure (neutralisation)