Le Maroc est-il le suivant ?
Par ses deux arrêts en date du 1er mars 2023 [1], le Tribunal de l’UE vient d’apporter pour la première fois des précisions importantes quant à l’imputabilité des subventions étrangères sur un produit visé par des mesures compensatoires.
En l’espèce, la société Hengshi et la société Jushi, sociétés de droit égyptien, produisent et exportent des tissus en fibres de verre tissées et/ou cousues (« TVF ») vers l’UE.
Leurs actionnaires sont chinois.
Elles sont situées dans la zone de coopération économique et commerciale sino-égyptienne (« zone CECS ») créée dans le cadre du plan de développement du corridor du canal de Suez entre la Chine et l’Egypte. A ce titre, elles bénéficient des avantages, notamment financiers, octroyés par les pouvoirs publics chinois aux entreprises chinoises de cette zone.
Suite à une première plainte du 1er avril 2019, la Commission a décidé d’adopter (règlement d’exécution 2020/776) des droits compensateurs sur les importations des TFV originaires de Chine et d’Egypte.
Suite à une seconde plainte déposée le 24 avril 2019 la Commission a adopté (règlement d’exécution 2020/870) des droits compensateurs sur les importations des produits de fibre de verre à filament continu (« SFV »), matière première principale des TVF, originaires d’Egypte.
Les deux sociétés ont introduit des recours en annulation des règlements litigieux, se fondant sur la violation de l’article 3, point 1, sous (a) du règlement antisubventions de base [2] qui disposent qu’une subvention est réputée exister s’il y a une contribution financière des pouvoirs publics du pays d’origine ou d’exportation.
Elles estimaient que les produits visés par les règlements de la Commission étant originaires et exportés depuis l’Egypte, les contributions financières étant, quant à elles, octroyées par les pouvoirs publics chinois, l’Egypte ne peut faire l’objet de droits compensateurs imposés en raison des contributions chinoises.
Par ses arrêts, le Tribunal rejette les demandes en annulation des sociétés égyptiennes et confirme l’interprétation de la Commission sur l’imputabilité des subventions.
Le Tribunal constate que les contributions financières à l’origine des subventions peuvent soit être édictées par un organisme public, soit imputables à cet organisme sans même qu’il en soit directement à l’origine.
Par ailleurs, pour que les mesures antisubventions prévues soient applicables, il faut que les contributions financières soient octroyées par les pouvoirs publics « sur le territoire d’un pays ». [3]
De ce fait, rien n’exclut d’imputer aux pouvoirs publics égyptiens des contributions financières octroyées par les pouvoirs publics chinois, d’autant plus dans le cadre d’une zone franche, telle que la CECS.
Par ailleurs, Le Tribunal constate qu’une telle interprétation ne contrevient pas à l’article 1er de l’accord sur les subventions et les mesures compensatoires [4] qui définit une subvention comme une contribution financière des pouvoirs publics du ressort territorial d’ « un » membre de l’Organisation Mondiale du Commerce.
Il n’est donc pas précisé, et ce contrairement aux règlements européens, que la contribution financière à l’origine de la subvention doit provenir du pays d’origine ou d’exportation.
Le Tribunal consacre ainsi une interprétation particulièrement large de la notion de « pouvoirs publics » en matière de subventions permettant à la Commission de sanctionner des subventions prises non pas par le pays d’origine ou d’exportation mais par le pays des actionnaires des sociétés du pays d’origine ou d’exportation.
Enfin, même s’il est fait référence à l’actionnariat chinois des sociétés égyptiennes pour justifier l’imputabilité des contributions financières chinoises aux pouvoirs publics égyptiens, il n’apparait pas que ce soit une condition nécessaire à cette imputabilité.
En effet, le Tribunal considère que les contributions financières d’un pays tiers au pays d’origine ou d’exportation qui ont pour effet de subventionner les sociétés du pays d’origine ou d’exportation peuvent donner lieu à des droits compensateurs, qu’importe l’intensité du lien entre les pays.
Au moment où l’Union est en train de se doter d’une nouvelle règlementation en matière de subventions étrangères [5], la solution retenue par le Tribunal étend le pouvoir de sanction de l’Union, cette fois-ci sous l’angle des instruments de défense commerciale.
On peut, à juste titre, se poser la question de savoir si autres pays africains, bénéficiant actuellement de subventions chinoises, ne suivront pas le sort de l’Egypte…
Notes
1. Arrêts du Tribunal dans les affaires T-480/20 et T-540/20, Hengshi Egypt Fiberglass Fabrics et Jushi Egypt for Fiberglass Industry/Commission. Les deux arrêts peuvent faire l’objet d’un pourvoi devant la Cour de justice dans un délai de deux mois et dix jours à compter de leur notification.
2. Règlement (UE) 2016/1037 du Parlement européen et du Conseil, du 8 juin 2016, relatif à la défense contre les importations qui font l’objet de subventions de la part des pays non membres de l’Union européenne.
3. Considérant n°5 du règlement antisubventions de base.
4. Accord sur les subventions et les mesures compensatoires, figurant à l’annexe 1A de l’accord instituant l’organisation mondiale du commerce.
5. Règlement (UE) 2022/2560 du Parlement européen et du Conseil du 14 décembre 2022 relatif aux subventions étrangères faussant le marché intérieur, applicable à partir du 12 juillet 2023.