Défilez vers le bas

Les baux commerciaux relevant de la compétence des TAE :  une bonne idée ?

06 mars 2025 5 min de lecture

La création, à titre expérimental, des Tribunaux d’Activités Économiques (TAE) depuis le 1er janvier 2025 suscite de nombreuses interrogations, notamment concernant l’absorption du contentieux des baux commerciaux. Plutôt qu’un élargissement cohérent des compétences, cette réforme pourrait ajouter de la complexité et maintenir des incertitudes quant au partage des compétences juridictionnelles. Décryptage des principales problématiques.

1. De nouvelles conditions d’accès à la charge des justiciables

Depuis le 1er janvier 2025, les actions et contestations relatives aux baux commerciaux relèvent des TAE, dans les villes pilotes, lorsque :

  • Ces dernières sont nées d’une procédure collective ;
  • Elles présentent un lien de connexité suffisant avec cette procédure.

Ces deux conditions sont cumulatives.

Alors qu’il était soucieux de simplifier le parcours judiciaire des bailleurs ou locataires en difficulté en les invitant à s’adresser à leur nouvel interlocuteur unique, le TAE, le législateur met à la charge des plaideurs de nouvelles conditions d’accès dont ils devront justifier.  

Il n’est pas certain que ces conditions cumulatives d’accès soient aisées à mettre en œuvre. Prenons l’exemple d’un locataire qui ne paie plus ses loyers. Après délivrance d’un commandement de payer et l’expiration du délai d’un mois, le bailleur saisit classiquement le président du Tribunal Judiciaire (TJ) pour faire constater l’acquisition de la clause résolutoire. Mais en cours de procédure, le locataire ouvre une procédure collective. Le bailleur doit-il alors se désister et saisir le TAE pour faire constater la résiliation du bail ?  Le locataire peut-il de lui-même solliciter le dessaisissement du TJ au profit du TAE ? Le juge judiciaire peut-il diriger de son chef le dossier vers son homologue du commerce ?

2. Un élargissement des pouvoirs du juge-commissaire ?

La jurisprudence avait jusqu’alors encadré strictement les pouvoirs du juge-commissaire en matière de baux commerciaux. Or, le transfert de ce contentieux aux TAE suscite des interrogations :

  • Le juge-commissaire pourra-t-il désormais prononcer la résiliation du bail et surtout ordonner l’expulsion du locataire ? Cette compétence lui était jusqu’alors refusée.
  • Pourra-t-il désormais accorder des délais de paiement, ce que seul le juge judiciaire pouvait faire jusqu’à présent ?

Jusqu’à présent, le juge-commissaire jouait un rôle limité. Lui conférer de nouvelles compétences pourrait créer des disparités entre tribunaux, certaines juridictions reconnaissant à leurs juges-commissaires plus de pouvoirs que d’autres, au mépris de l’unité jurisprudentielle.

3. Une disparité entre juridictions ?

Le transfert du contentieux des baux commerciaux aux TAE soulève d’épineuses questions :

  • Les juges-commissaires des TAE auront-ils des pouvoirs différents de ceux des tribunaux de commerce (TC) ?
  • À Paris (TAE), le juge-commissaire pourrait-il constater l’acquisition d’une clause résolutoire alors qu’à Évry (maintien du Tribunal de commerce), cette compétence relève du ressort du président du TJ ?
  • La formation des juges-commissaires est-elle suffisante pour appréhender une matière aussi technique que les baux commerciaux ?

La complexité de la matière des baux commerciaux aurait pu justifier une expérimentation dans des juridictions déjà familiarisées avec l’échevinage (comme en outre-mer). Force est de constater que le législateur n’a pas voulu sélectionner de juridictions ultra-marines pour mener son expérience, ce qui est bien regrettable.

4. L’avocat est-il obligatoire ?

L’obligation de représentation par avocat varie selon la juridiction saisie et le montant du litige :

  • Devant le TJ, la représentation est obligatoire dès que l’enjeu dépasse 10 000 €.
  • En matière de procédures collectives, l’avocat n’est pas requis, pour éviter de peser sur des débiteurs en difficulté financière.

En intégrant les contentieux des baux commerciaux aux TAE, la réforme crée une ambiguïté : les parties pourraient être privées d’une assistance juridique obligatoire alors même que la matière est complexe, exposant les justiciables à un risque accru d’erreurs procédurales.

5. Une justice plus efficace et plus rapide ?

Un des objectifs affichés de la réforme est de désengorger les tribunaux judiciaires. Cependant, les chiffres du Tribunal de commerce de Paris en 2024 révèlent un risque inverse :

  • 180 juges bénévoles dont 49 en charge des procédures collectives.
  • Délai moyen de traitement des affaires au fond : 12,7 mois.
  • +18,5 % d’ouvertures de procédures collectives par rapport à 2023 (+71,5 % depuis 2022).
  • Augmentation prévue de l’activité du TAE de Paris : +10 % en 2025 (probablement sous-estimée).

Ces chiffres, extraits du rapport d’activité 2024 du Tribunal de commerce de Paris, montrent une surcharge croissante des juges consulaires, qui sont pourtant bénévoles. Fabien Kandérian dénonçait déjà cette réforme comme une mesure purement comptable, destinée à transférer des charges sans réelle amélioration de l’efficacité judiciaire.

6. Un avenir incertain

La réforme est pour l’instant en phase expérimentale. Mais à terme, elle pourrait conduire à un transfert total du contentieux des baux commerciaux aux TAE, avec des conséquences notables :

  • Nécessité d’une formation accrue des juges consulaires.
  • Modification du régime de l’oralité des débats.
  • Connexité avec les procédures collectives de plus en plus large, incluant par exemple la fixation des indemnités d’éviction

Conclusion

Cette réforme, censée rationaliser le traitement des actions relatives aux baux commerciaux dans le cadre des procédures collectives, soulève de nombreuses incertitudes. Non seulement elle complique la saisine des juridictions, mais elle risque également de créer des inégalités territoriales et d’engorger les TAE. La justice sera-t-elle plus rapide et plus efficace ? Seul le temps nous le dira. Mais d’ici là, les praticiens du droit immobilier doivent s’attendre à une période de forte insécurité juridique

Charlotte Seube, Pré associée et docteur en droit chez DS Avocats. Droit immobilier Baux commerciaux

Pour plus d’information sur le sujet, prenez contact avec notre expert.

Pré-associée et Docteur en droit, Charlotte Seube est spécialisée en Droit Immobilier. Elle a notamment accompagné des groupes ultra-marins dans la gestion de leur patrimoine immobilier et les a assistés dans le cadre de leur restructuration.

ds
Publications

Parcourez la très grande variété de publications rédigées par les avocats DS.

ds
ds
À la Une

Suivez la vie du cabinet, ses actions et ses initiatives sur les 4 continents.

ds
ds
Événements

Participez aux évènements organisés par DS Avocats à travers le monde.

ds