Les déblais résultant de travaux réalisés constituent des déchets dès leur sortie du site, qu’ils soient pollués ou non, et doivent être gérés en tant que tels jusqu’à leur élimination finale.
L’arrêt du Conseil d’État du 29 juin 2020 [1] constitue une nouvelle illustration de ce principe en donnant l’occasion à la haute juridiction d’appliquer le statut de déchet aux déblais issus de travaux de voiries publiques en précisant, par ailleurs, les responsabilités qui en découlent.
En l’espèce, la société Orange France sollicitait l’annulation du règlement de voirie adopté par le conseil communautaire de la communauté urbaine de Lyon et qui précise certaines modalités de gestion des déchets dans le cadre des marchés publics locaux.
Par une application stricto sensu du droit applicable en la matière, le Conseil d’État rejette les prétentions de la société de télécommunication.
Le Conseil d’État juge en effet que la police des déchets est applicable aux déblais issus des travaux de voiries au sens de l’article L. 541-1-1 du Code de l’environnement (N° Lexbase : L9440INX) qui définit les déchets comme « toute substance ou tout objet, ou plus généralement tout bien meuble, dont le détenteur se défait ou dont il a l’intention ou l’obligation de se défaire ». En outre, le Conseil d’État juge que sont considérés comme producteurs des déchets les intervenants sous la maîtrise d’ouvrage.
Cette décision réaffirme avec vigueur l’absence d’exclusion du statut de déchet s’agissant de terres excavées utilisées hors site à l’heure où un projet d’arrêté est en cours de discussion prévoyant la possibilité aux intervenants à l’acte de construction de faire sortir du statut de déchet des terres excavées sous certaines conditions [2].
Si cet arrêt s’inscrit dans un cadre désormais établi (I), il permet de rappeler les principes en matière de gestion des déchets du bâtiment (II).
I – Les déblais résultant de travaux constituent, en principe, des déchets
Si les terres excavées produites par des chantiers acquièrent le statut de déchet dès leur sortie du site (A), il existe des hypothèses dans lesquelles la police des déchets n’est pas applicable aux déblais (B).
A – Le sort des terres excavées
L’application par le Conseil d’État du statut de déchet aux déblais résultant de travaux réalisés sur la voirie publique n’est pas surprenante en ce qu’il s’agit d’une application des principes énoncés par la circulaire du 24 décembre 2010 qui prévoit que « dès lors que les terres sont évacuées du site de leur excavation, ces dernières prennent un statut de déchet » [3].
Le Conseil d’État, sans surprise, indique également que la présence dans les terres de fibres d’amiante, indépendamment de la réalisation des travaux, ne saurait faire obstacle à l’application de la police des déchets. En effet, la qualification de déchet fait fi de la composition des terres évacuées. Comme le précise la note du ministère de la Transition écologique et solidaire, « les terres évacuées du site de leur excavation, qu’elles soient polluées ou non, prennent le statut de déchet » [4].
La présence de pollution dans les déblais déterminera toutefois le mode de traitement adapté des déchets. En effet, aux termes de l’article L. 541-7-1 du Code de l’environnement (N° Lexbase : L1478LWN), tout producteur de déchets est tenu de caractériser ses déchets et de déterminer plus particulièrement s’il s’agit de déchets dangereux. C’est cette caractérisation des terres qui déterminera ensuite le choix des centres de traitement qui sont relatifs soit aux déchets non dangereux et inertes, soit aux déchets dangereux. C’est le sens d’ailleurs de l’une des dispositions contestées par Orange en l’espèce. Le règlement de voirie de la Métropole de Lyon prévoyait en effet que le producteur de déchets se devait de procéder à l’identification de la nature et du niveau de pollution des déblais préalablement à la gestion des déchets. Comme l’indique le Conseil d’État, il s’agit d’une simple reprise des obligations légales en la matière sans que cela n’inclue une obligation à la charge de la maîtrise d’ouvrage d’identifier les parties du domaine public routier dans lesquelles la présence d’une substance dangereuse dans les sols a été constatée.
Si les terres excavées prennent le statut de déchet dès leur sortie du site, il en va différemment des sols non excavés, qu’ils soient pollués ou non, ce que le Conseil d’État prend soin de rappeler en l’espèce.
B – L’exclusion du statut de déchet
Il ne fait aujourd’hui aucun doute que les sols non excavés, pollués ou non, ne prennent pas le statut de déchet. L’article 2.1 de la Directive (CE) 2008/98 du Parlement européen et du Conseil du 19 novembre 2008, relative aux déchets (N° Lexbase : L8806IBR), exclut expressément le statut de déchet pour les sols non excavés. Le Code de l’environnement prévoit la même exclusion en son article L. 541-4-1 du Code de l’environnement.
La situation est plus débattue s’agissant des terres excavées réutilisées sur site. Si la Directive précitée prend le soin d’exclure « les sols non pollués et autres matériaux géologiques naturels excavés au cours d’activités de construction lorsqu’il est certain que les matériaux seront utilisés aux fins de construction dans leur état naturel sur le site même de leur excavation », il en va différemment du droit français ; le Code de l’environnement ne prévoyant aucune exclusion s’agissant des terres excavées utilisées sur site. C’est finalement la circulaire du 24 décembre 2010 qui prévoit que les « terres excavées et réutilisées sur place ne doivent pas être considérées comme des déchets ». On se référa utilement à la note du 25 avril 2017 du ministère de la Transition écologique et solidaire définissant plus précisément la notion de site [5].
Par ailleurs, le projet d’arrêté fixant les critères de sortie du statut de déchet pour les terres excavées et sédiments ayant fait l’objet d’une préparation en vue d’une utilisation en génie civil ou en aménagement pour lequel une consultation publique a été ouverte par le ministère de la Transition écologique et solidaire s’appuie sur l’avis du ministère de l’Environnement du 13 janvier 2016 pour organiser la procédure de sortie dite « explicite » [6] de certaines terres excavées. Le projet d’arrêté prévoit que les terres excavées devront, et ce afin de ne pas se voir appliquer le statut de déchet, faire l’objet d’une préparation comprenant obligatoirement un contrôle technique et/ou administratif et respecter les critères d’acceptabilité environnementale des guides reconnus par le ministère en charge de l’environnement spécifiques. En outre, l’article 2 du projet d’arrêté dispose que « la personne réalisant la préparation a conclu, pour les terres excavées et sédiments ayant fait l’objet d’une préparation en vue d’une utilisation en génie civil ou en aménagement, un contrat de cession avec le tiers qui
valorisera les terres excavées et sédiments ».
Les conditions requises par cet arrêté ne sont pas sans rappeler la position britannique qui considère que les terres excavées peuvent ne pas se voir appliquer le statut de déchet dès lors que notamment l’utilisation ultérieure des terres est certaine ou que l’utilisation future garantit une protection de la santé humaine et de l’environnement [7].
Enfin, il convient d’ajouter que l’avis du 13 janvier 2016 précité prévoit l’hypothèse d’une sortie de statut de déchet « implicite » pour les objets issus d’un processus de production et fabriqués en tout ou partie par des déchets dans des installations inscrites à la nomenclature des ICPE.
II – Le traitement des déchets issus de chantiers de construction
L’absence de clarification quant à l’identification du responsable du traitement des déchets (A) impose au maître d’ouvrage de s’assurer du respect de la hiérarchie des modalités de traitement des déblais par l’ensemble des intervenants à l’acte de construction (B).
A – Le responsable du traitement des déchets
En la matière, l’article L. 541-2 du Code de l’environnement (N° Lexbase : L9592INL) prévoit que « tout producteur ou détenteur de déchets est tenu d’en assurer ou d’en faire assurer la gestion, conformément aux dispositions du présent chapitre » sans préciser si le détenteur n’est responsable qu’en l’absence d’identification du producteur.
L’arrêt du Conseil d’État entretient le flou sur cette problématique en ne clarifiant pas la hiérarchie des responsables du traitement des déchets au titre de la police des déchets. Il se contente en effet d’indiquer que « les intervenants sous la maîtrise d’ouvrage desquels ces travaux sont réalisés doivent être regardés comme les producteurs de ces déchets ». La difficulté résulte de l’absence de définition du terme « intervenant ». Doit-on comprendre que l’administration peut, à son bon vouloir, désigner n’importe lequel des maillons de la chaîne contractuelle des intervenants à l’acte de construction, du maître d’ouvrage au sous-traitant de l’entrepreneur titulaire du marché ?
Si la réponse à cette question ne transparaît pas à la lecture de l’arrêt, il n’en demeure pas moins qu’implicitement, le Conseil d’État semble mettre l’accent sur le maître d’ouvrage, producteur des déchets en considérant que « lorsqu’elle réalise ou fait réaliser pour son compte des travaux sur la voirie de la Métropole de Lyon, la société Orange France a la qualité de producteur de déchets ».
En outre, en matière de marchés publics, les CCAG prévoient à l’article 36 que la valorisation ou l’élimination des déchets est de la responsabilité du maître d’ouvrage en tant que producteur de déchets et de l’entreprise titulaire du marché en tant que détenteur de déchets. Il doit être noté que la responsabilité du maître d’ouvrage apparaît plus importante en matière de marché public qu’en matière de marché privé, dès lors que dans cette dernière hypothèse, dès lors qu’il s’agit de construction neuve, il est de coutume d’insérer dans le marché que l’entrepreneur principale sera responsable de la gestion des déchets. À l’inverse, en matière de chantier de démolition ou de réhabilitation, le maître d’ouvrage sera, tant dans le domaine public que privé, considéré comme producteur.
Il convient de rappeler que les mécanismes contractuels de transferts de responsabilité ne sont pas opposables à l’administration [8], qui aura toujours la possibilité de rechercher la responsabilité des personnes productrices ou détentrices des déchets.
B – La hiérarchie de traitement des déchets
L’article L. 541-1 du Code de l’environnement (N° Lexbase : L8112LXQ) prévoit que les déchets doivent être traités suivant la hiérarchie suivante : préparation en vue de la réutilisation ; recyclage ; toute autre valorisation, notamment la valorisation énergétique ; élimination.
Il est toutefois possible de déroger au principe de cette hiérarchie à l’échelle territoriale notamment par l’adoption de plans régionaux de prévention et de gestion des déchets en application de l’article L. 541-13 du Code de l’environnement (N° Lexbase : L8115LXT). En l’espèce, le règlement de voirie de la Métropole de Lyon attaqué prévoyait qu’« une réutilisation sur site sera recherchée par l’intervenant qui conduira à ses frais une étude géotechnique ». Le Conseil d’État prend soin de
rappeler que cette disposition ne créait aucune obligation à la charge de l’intervenant de réutilisation des matériaux sur site ce qui, là encore, ne surprend pas dès lors qu’il s’agit d’une exacte application de la hiérarchie des modes de traitement des déchets prévue par le Code de l’environnement.
Seule la caractérisation des déblais, qui est obligatoire au titre de l’article L. 541-7-1 du Code de l’environnement, permettra de déterminer les exutoires appropriés pour leur gestion. C’est, encore une fois, le sens des dispositions du règlement attaqué, qui impose aux intervenants à l’acte de construction de procéder à l’identification de la nature et du niveau de pollution des déblais préalablement à leur traitement à l’exutoire adéquat.
La valorisation des déblais n’est possible que si son utilité est démontrée et constitue, en outre, le motif principal de l’opération ; cette preuve incombant à l’aménageur au titre de l’article L. 541-32 du Code de l’environnement (N° Lexbase : L3183KGY).
Au-delà des aspects juridiques, l’opérationnalité de gestion des terres excavées est essentielle. Ainsi, le Bureau de Recherches Géologiques et Minières (« BRGM ») offre aux aménageurs plusieurs solutions techniques pour la valorisation des déblais dans son dernier rapport publié en avril 2020 [9]. Le rapport met l’accent sur le réemploi des terres en allouant les terres excavées aux sites compatibles selon trois conditions : « le maintien de la qualité des sols receveurs » ; « la préservation des ressources en eaux » ; « la compatibilité des terres d’apports avec l’usage du futur site » [10].
Le BRGM souligne, par ailleurs, la nécessité pour le producteur de déchets d’assurer une parfaite traçabilité des déchets. Dans cette optique, l’application gratuite TERRASS [11] met en place une traçabilité des terres évacuées d’un chantier, assurée par des Bordereaux de Suivi des Terres Valorisables (BSTV) et/ou de type Bordereau de Suivi de Déchets (BSD).
En outre, TERRASS propose une bourse d’échange des déblais pour permettre une mise en relation des détenteurs de déblais et des sites receveurs. Pour pallier les problèmes de temporalité entre les chantiers producteurs et ceux identifiés comme receveurs, le rapport préconise l’usage de plateformes de stockage qui permettront, outre de stocker les terres, de les traiter dans l’hypothèse où leur niveau de pollution serait trop élevé.
Autant d’approches pragmatiques qui doivent permettre une parfaite adéquation entre le droit et la pratique.
- [1] CE 3° et 8° ch.-r., 29 juin 2020, n° 425514, mentionné aux tables du recueil Lebon.
- [2] Projet d’arrêté fixant les critères de sortie du statut de déchet pour les terres excavées et sédiments ayant fait l’objet d’une préparation en vue d’une utilisation en génie civil ou en aménagement.
- [3] Circulaire du 24 décembre 2010, relative aux modalités d’application des décrets n°s 2009-1341, 2010-369 et 2010-875 modifiant la nomenclature des installations classées exerçant une activité de traitement des déchets ([LXB=]).
- [4] Note du 25 avril 2017 , « Modalités d’application de la nomenclature des installations classées pour le secteur de la gestion des déchets ».
- [5] Idem.
- [6] Avis du Ministère de l’environnement du 13 janvier 2016, « Avis aux exploitants d’installations de traitement de déchets et aux exploitants d’installations de production utilisant des déchets en substitution de matières premières » ([LXB=]).
- [7] The Definition of Waste : Development industry Code of Practice.
- [8] CE, 24 mars 1978, n° 01291 (N° Lexbase : A2919AIX) ; CE, 11 avril 1986, n° 62234 (N° Lexbase : A7663AMR).
- [9] Guide de valorisation hors site des terres excavées issues de sites et sols potentiellement pollués dans des projets d’aménagement, rapport avril 2020.
- [10] Ces conditions correspondent peu ou prou à celles prévues par l’article 13 de la Directive (CE) 2008/98 du Parlement européen et du Conseil du 19 novembre 2008, relative aux déchets.
- [11] Application développée par le BRGM.