L’examen des litiges fondés sur les pratiques restrictives de concurrence des articles L 442-1 et suivants du Code de commerce est attribué par la loi à certains tribunaux spécialisés en première instance, désignés par l’article D 442-2 du même Code, et à la Cour d’Appel de Paris au stade de l’appel.
Jusqu’alors, la saisine d’une juridiction ne figurant pas dans la liste des tribunaux spécialisés était sanctionnée par une fin de non-recevoir, qui devait le cas échéant être relevée d’office par la juridiction saisie si ce n’était pas fait par l’une des parties. Conformément à l’article 122 du Code de procédure civile, la partie ayant saisi la mauvaise juridiction était alors déclarée irrecevable en sa demande, sans examen au fond, et devait réassigner son adversaire devant la bonne juridiction, au risque de voir, dans l’intervalle, la prescription acquise ou son délai de recours expiré.
Dans un arrêt du 18 octobre 2023[1], la Cour de cassation opère un revirement de jurisprudence, et considère désormais que la saisine d’une juridiction non spécialisée relève du régime de l’exception d’incompétence.
Ce changement de qualification a plusieurs conséquences.
Il en résulte notamment que la saisine, quand bien même elle est adressée à une juridiction incompétente, interrompt la prescription, contrairement aux fins de non-recevoir.
L’exception d’incompétence doit par ailleurs être soulevée avant toute défense au fond (in limine litis), à la différence des fins de non-recevoir qui peuvent être soulevées à tout moment au cours de la procédure (en tout état de cause).
La juridiction saisie a en outre l’obligation de renvoyer la procédure devant la juridiction compétente sans que la partie en demande n’ait à réassigner.
Il est intéressant de relever que la Cour de cassation justifie expressément son revirement dans le cadre de son arrêt, faisant le constat que « cette construction jurisprudentielle complexe (…) aboutit à des solutions confuses et génératrices, pour les parties, d’une insécurité juridique (…). Elle donne lieu, en outre, à des solutions procédurales rigoureuses pour les plaideurs qui, à la suite d’une erreur dans le choix de la juridiction saisie, peuvent se heurter à ce que certaines de leurs demandes ne puissent être examinées, en raison soit de l’intervention de la prescription soit de l’expiration du délai de recours. Au surplus, sa complexité de mise en œuvre ne répond pas aux objectifs de bonne administration de la justice. Enfin, elle est en contradiction avec l’article 33 du code de procédure civile dont il résulte que la désignation d’une juridiction en raison de la matière par les règles relatives à l’organisation judiciaire et par des dispositions particulières relève de la compétence d’attribution. »
Pour les procédures à venir, cela impliquera que le défendeur devra veiller à soulever l’incompétence du tribunal saisi au tout début de la procédure, sous peine de ne plus être recevable à le faire.
Concernant les procédures en cours, il semblerait qu’il soit nécessaire, le cas échéant, de conclure à nouveau afin de soulever une exception de procédure en lieu et place d’une fin de non-recevoir.
[1] Cass. Com. 18 oct. 2023, n° 21-15.378