Commentaire du jugement rendu le 1er septembre 2017 par le Tribunal de grande instance de Paris
La société LBC exploite le site Internet leboncoin.fr qui permet aux particuliers de diffuser gratuitement des annonces commerciales concernant toutes catégories de biens ou de services. La société Entreparticuliers.com propose quant à elle aux particuliers un service payant d’hébergement d’annonces essentiellement immobilières. À cette fin, Entreparticuliers.com s’est abonnée à un service de piges immobilières auprès d’un sous-traitant qui collecte et lui transfère chaque jour toutes les nouvelles annonces immobilières publiées par les particuliers sur différents supports, y compris celles parues sur leboncoin.fr, sans autorisation de la société LBC.
Compte tenu de la reprise de ses annonces immobilières sans son autorisation, de l’identité de la clientèle visée par les deux sites, et de l’augmentation des plaintes émanant des annonceurs immobiliers de son site, la société LBC a assigné Entreparticuliers.com devant le TGI de Paris pour violation du droit sui generis des producteurs de bases de données.
Dans un jugement en date du 1er septembre 2017, le TGI de Paris a qualifié le site leboncoin.fr de base de données et reconnu à une personne morale, la société LBC, la qualité de producteur de base de données, fait plutôt rare dans la jurisprudence relative aux bases de données. Le TGI a par ailleurs condamné le site entreparticuliers.com à indemniser LBC du préjudice subi résultant des actes de reprise opérés sur le site leboncoin.fr.
Le site leboncoin.fr est une base de données protégée
Le tribunal a tout d’abord reconnu que le site leboncoin.fr constituait bien une base de données au sens de l’article L. 112-3 du code de la propriété intellectuelle et était donc protégé par le droit d’auteur. La Cour a notamment souligné « l’existence d’une architecture élaborée de classement des données collectées » ainsi que « le volume et la diversité des annonces ».
Pour bénéficier du droit sui generis des bases de données, un producteur – c’est-à-dire la personne qui a pris l’initiative et assume les risques de la base – doit établir la réalité d’un « investissement substantiel » nécessaire à la « constitution, la vérification ou la présentation » du contenu de la base.
Généralement, la condition relative à la réalité d’un « investissement substantiel » est assez facilement validée puisque les investissements financiers, matériels ou humains peuvent être pris en compte, cumulativement ou non.
La condition relative à la finalité de ces investissements appelle quant à elle à une analyse plus rigoureuse. En effet, seuls les investissements tendant à la constitution (comme la recherche, la sélection, le rassemblement, etc.), à la vérification ou à la présentation de la base peuvent être pris en compte, excluant ainsi tous ceux relatifs à la création des contenus de la base ou effectués au moment de cette création. Ce principe a notamment fait l’objet d’une application stricte par la première chambre civile de la cour de cassation qui n’a pas appliqué le droit sui generis à une société exploitant un site Internet d’annonces immobilières, car les investissements constatés étaient uniquement destinés à la création des contenus de la base et à des opérations de vérification pendant cette phase de création (Civ. 1, 5 mars 2009, n° 07-19734 07-19735).
Au contraire, comme l’a souligné le TGI de Paris dans son jugement du 1er septembre 2017, les investissements réalisés par le site leboncoin.fr étaient « consacrés à la collecte et à l’organisation des données et non à leur création qui est le fait de l’annonceur ». Le Tribunal précise en outre que « les sommes investies pour les activités de modération et de signalement ne peuvent s’analyser comme des opérations de vérification effectuées au cours de la phase de création des données, puisque ce service intervient après la transmission de l’annonce sur le site ». C’est donc naturellement que le Tribunal a conclu à la possibilité pour la société LBC d’invoquer la protection dont peut bénéficier le producteur d’une base de données.
Le site entreparticuliers.com a reproduit une part non substantielle de la base de données du site leboncoin.fr
Le but du droit sui generis des bases de données est d’assurer au producteur la possibilité d’interdire l’extraction (c’est-à-dire le transfert permanent ou temporaire) ou la réutilisation (c’est-à-dire la mise à disposition au public) du contenu de sa base de données. L’acte d’extraction ou de réutilisation est interdit s’il est quantitativement ou qualitativement substantiel, ou s’il n’est pas substantiel mais répété et systématique, excédant ainsi les conditions d’utilisation normale de la base.
En l’espèce, les reprises opérées par la société Entreparticuliers.fr n’étaient substantielles ni quantitativement, ni qualitativement. Analysant les faits de manière très concrète, le TGI de Paris note d’une part que « la proportion représentée par [les annonces] relevant du secteur de l’immobilier est de 10% « de la totalité des annonces postées » », et d’autre part qu’en dehors d’un article paru dans le journal « Le Monde », il n’existe pas d’éléments précis venant attester du caractère substantiellement qualitatif des annonces immobilières.
Le Tribunal retient en revanche que cette partie non substantielle de la base constituée par les annonces immobilières est extraite et reproduite de manière répétée et systématique pour le compte de la société Entreparticuliers.com. Le Tribunal constate que parmi les annonces reproduites sur le site Entreparticuliers.com, toutes celles comprises dans la catégorie « vente » comportent le logo du site leboncoin.fr sur les photographies présentant le bien et les coordonnées téléphoniques du vendeur. Selon le tribunal, le caractère systématique et répété de ces extractions et reproductions se déduit des modalités du contrat liant Entreparticuliers.com à son sous-traitant de pige immobilière. Ce contrat stipule en effet que « [entreparticuliers.com] recevra toutes les nouvelles annonces immobilières de ventes publiées par les particuliers sur toute la France sous forme de 5 mises à jour quotidiennes transmis sur flux direct vers la base de données d’Entreparticuliers ».
Une indemnisation faible
Pour la violation de son droit sui generis des bases de données par extraction et réutilisation de parties non substantielles de son site Internet, le Tribunal alloue à la société LBC la somme de 20 000 euros, somme évaluée notamment au regard du coût suscité par le traitement des plaintes des annonceurs dont les publications étaient reprises par le site entreparticuliers.com. La société LBC obtient également 20 000 euros pour préjudice d’image résultant de l’interrogation, suscitée chez ses annonceurs par la reprise de leurs données personnelles sur le site entreparticuliers.com, quant à l’existence d’éventuels liens commerciaux existant entre LBC et Entreparticuliers.com.
En dépit d’un préjudice faiblement indemnisé, cette décision présente toutefois l’intérêt de reconnaître la qualité de producteur de base de données à une personne morale. À l’heure de la captation massive des données et de la déstructuration de leur exploitation, le droit reste ainsi susceptible d’appréhender les créations numériques que sont les bases de données et de protéger ceux qui y investissent.