En cas de rupture à effet immédiat, l’existence d’une clause résolutoire de plein droit ne dispense pas le juge d’apprécier la gravité du manquement
Le maroquinier Longchamp résilie à effet immédiat plusieurs contrats de son distributeur agréé SMAG en raison de manquements reprochés à ce dernier.
SMAG assigne Longchamp en rupture brutale de la relation commerciale établie et fait valoir que « la circonstance que le manquement contractuel reproché ait été contractuellement érigé en une faculté de résiliation du contrat à effet immédiat est impropre à justifier une rupture de la relation établie sans préavis », ajoutant que « la réitération d’un manquement contractuel n’est pas une mesure de sa gravité ».
Alors que la Cour d’appel de Paris [1], après avoir constaté que les manquements étaient avérés, avait jugé que la référence à la clause résolutoire et le caractère réitéré des manquements étaient suffisants à justifier la rupture à effet immédiat, la Cour de cassation confirme l’absence de brutalité au titre d’un des manquements (le fait pour le distributeur d’avoir diffusé une publicité utilisant la marque Longchamp sans l’accord préalable écrit de ce fournisseur) mais, en revanche, casse l’arrêt d’appel au titre d’un autre manquement (le non-respect d’une obligation d’approvisionnement minimum durant deux semestres consécutifs) [2].
La contradiction n’est qu’apparente, car dans son appréciation des deux manquements distincts, la Cour de cassation consacre au demeurant la même règle selon laquelle la seule constatation d’une situation relevant de l’application d’une clause résolutoire ne suffit pas à justifier la rupture à effet immédiat : le juge doit « caractériser les circonstances conférant au manquement contractuel reproché un degré de gravité suffisant au sens de l’article L. 442-6, I, 5° du code de commerce » (applicable aux faits de la cause), et ne peut pas se limiter à entériner une application « mécanique » d’une clause résolutoire.
Cette décision est cohérente avec le principe selon lequel, lorsque la relation est formalisée par un contrat, les dispositions contractuelles afférentes à la rupture sont sans incidence sur l’appréciation de la brutalité de la rupture.
Elle est aussi en ligne avec la règle, commune aux contentieux de rupture abusive (et aussi aux contentieux de licenciement de cadres commerciaux !), selon laquelle la constatation de la non-atteinte d’objectifs n’est jamais, en tant que telle, suffisante à caractériser un manquement contractuel.
En revanche, on relèvera que la même chambre commerciale de la Cour de cassation tient une position divergente lorsqu’il s’agit non pas de rupture brutale, mais de rupture abusive.
Ainsi, dans une affaire tout aussi récente, la Cour, au fondement de l’article 1134 du Code civil (applicable aux faits de la cause), a cassé un arrêt de la Cour d’appel de Nîmes en posant en principe qu’il « n’appartient pas au juge d’apprécier la gravité du manquement justifiant la mise en œuvre d’une clause prévoyant la résolution de plein droit du contrat en cas d’inexécution par l’une des parties de l’une quelconque de ses obligations » [3].
Cette divergence s’explique sans doute par la différence des responsabilités engagées, délictuelle en cas de rupture brutale, contractuelle dans cette affaire de rupture abusive.
Notes
1. 28 octobre 2020 (pôle 5, chambre 4)
2. Cass com, 7 septembre 2022, n°21-17914
3. Cass com, 28 septembre 2022, n°21-17269