Deux arrêts récents, l’un de la Cour de cassation [1], l’autre de la Cour d’appel de Paris sur renvoi de cassation [2], viennent confirmer un principe posé voici plus de 10 ans par la Cour de cassation, mais dont on pouvait penser (et même espérer, pour ce qui nous concerne …) qu’il finirait par être remis en cause.
Dans la première de ces deux affaires, la Cour de cassation censure l’arrêt de la Cour d’appel de Paris [3] en raison de ce que celle-ci, pour évaluer le préavis suffisant, c’est-à-dire celui qui aurait dû être accordé, a pris en compte des circonstances postérieures à la rupture.
En l’occurrence, la société de transport express TNT avait rompu la relation qui la liait à un transporteur marocain, la société MATIM. Pour fixer la durée du préavis suffisant et évaluer le préjudice subi par MATIM du fait de la rupture brutale des relations, la Cour d’appel avait notamment retenu que la société MATIM avait « su se réorganiser, trouver d’autres débouchés, adapter son activité (…), retrouvé (…) 75 % de ses anciens clients, et développé une activité prometteuse avec le groupe TOTAL ».
La Cour d’appel avait ainsi pris en compte des circonstances postérieures à la rupture, ce que lui reproche la Cour de cassation en ces termes : « En statuant ainsi, la cour d’appel, qui s’est fondée sur des éléments postérieurs à la notification de la rupture pour apprécier la durée de préavis à laquelle la société MATIM pouvait prétendre, a violé le texte susvisé » (il s’agit de l’article L. 442-6 I 5° ancien du code de commerce, mais la solution serait la même sous le régime du nouvel article L. 442-1 du Code de commerce).
C’est une même logique qui a prévalu dans la seconde affaire, où la Cour de cassation avait rendu en 2022 [4] un arrêt censurant la Cour d’appel de Paris [5], qui, pour fixer le préavis suffisant, avait pris en compte la reconversion réussie par la partie victime de la rupture (un concessionnaire de matériel agricole) et le fait que cette dernière avait interrompu le préavis accordé par le constructeur (d‘une durée de 18 mois en l’occurrence) afin de pouvoir signer un contrat de concession exclusif avec un concurrent du constructeur.
Quand bien même il parait incohérent de se prévaloir d’un préavis insuffisant alors qu’on y a soi-même mis fin pour redéployer son activité (ce qui est l’objet même d’un préavis), la Cour de cassation avait cassé l’arrêt de la Cour d’appel pour s’être fondée « sur une circonstance postérieure à la rupture ».
Sur renvoi de cassation, et par un arrêt du même 17 mai 2023, la Cour d’appel de Paris autrement formée se range à la règle posée par la Cour de cassation, et juge la rupture brutale. La même chambre 4 du pôle 5 de la Cour rend ainsi en 2023 un arrêt dont la teneur est l’inverse de celle de l’arrêt rendu 3 ans plus tôt.
Dans une logique qui semble être celle d’une sanction « mécanique » de l’auteur de la rupture, indépendante de toute reconversion en cours de préavis, la haute juridiction met ainsi fin aux tentatives – méritoires, selon nous – de la Cour d’appel de Paris pour revenir à une appréciation de bon sens du préavis suffisant, à l’aune de son objet même qui est de permettre à la partie évincée de se reconvertir ou de trouver un nouveau partenaire.
Reste à savoir si la Cour d’appel de Paris va poursuivre sa démarche jusqu’à obtenir, qui sait, un revirement de cette jurisprudence quelque peu dogmatique.
En attendant, confrontés à la joute que semblent se livrer sur cette question les deux juridictions spécialisées, le justiciable et l’avocat sont un peu perdus …
Notes
[1] Cass com 17 mai 2023, n°21-24809, TNT FAA c. MATIM
[2] CA Paris, 5/4, 17 mai 2023, n° 22/13861, CLAAS France c. Ets H. Baudet & Fils
[3] CA Paris chbre internationale, 6 juillet 2021
[4] Cass com 1er juin 2022, n°20-18960
[5] CA Paris, 5/4, 17 juin 2020, n° 17/19307