Plateforme de streaming = hébergeur + éditeur
Par un jugement en date du 19 mars 2015, le Tribunal de Grande Instance de Paris a admis que l’exploitant d’une plateforme de streaming pouvait être à la fois hébergeur et éditeur au sens de la loi LCEN.
Dans le cadre de la retransmission audiovisuelle de ses compétitions sportives, la Ligue de Football Professionnel (LFP) a concédé les droits d’exploitation aux chaînes des groupes Canal + et beIN, ainsi qu’aux plateformes de streaming Youtube, Dailymotion, et sur les mobiles Orange. Cependant, en parallèle, le site internet de streaming « www.rojadirecta.me » exploité par la société espagnole Puerto 80 permet à tout internaute d’accéder à la diffusion gratuite de ces compétitions sportives via une liste de liens hypertextes.
Face ce phénomène, la LFP a mis en demeure la société Puerto 80 de supprimer les liens visés et d’empêcher, à l’avenir, leur mise en ligne sur le site de streaming. L’exploitant du site de streaming prétendait bénéficier du statut d’hébergeur. La question du statut du site de streaming est ici primordiale.
Le droit français connait deux statuts applicables aux exploitants de sites internet : hébergeur et éditeur. L’éditeur est celui qui décide de la publication du contenu, tandis que l’hébergeur n’est prestataire technique et n’a aucune maitrise sur la décision de mise en ligne. Pour ces deux statuts, les régimes de responsabilité son différents. L’éditeur et directement responsable des contenus qu’il publie, tandis que l’hébergeur n’est responsable que s’il a eu préalablement connaissance de l’existence de contenus manifestement illicites (c’est-à-dire constituant une violation évidente d’une règle de droit), ou encore s’il n’a pas agi promptement pour retirer ces contenus dès qu’il en a eu connaissance. De plus, les hébergeurs ne sont pas soumis à une obligation de contrôle des contenus.
En l’espèce, le tribunal constate que le site de streaming « rojadirecta » ne se borne pas à mettre en ligne des liens à la demande des internautes, mais les répertorie, les stocke, les classe selon l’activité sportive, en fonction de l’actualité, de l’agenda sportif, tout en mettant à disposition des amateurs de streaming sportif un moteur de recherche intégré au site web. On est alors en face d’une vraie structure, pensée et maîtrisée par le site de streaming, ce qui rapproche son activité de celle d’un éditeur.
Les juges retiennent également que le site de streaming dispose, pour son forum, du statut d’hébergeur en ce qu’il met en ligne des liens vers des vidéos de courte durée, comme des résumés des matchs.
Au final, les juges estiment que « si techniquement [ le site de streaming ] se présente sous l’apparence d’un hébergeur, au-delà de cet aspect technique dont relève accessoirement son forum », il convient d’appliquer la qualité d’éditeur au site de streaming pour son activité. Ils rappellent également qu’« un même site peut relever de deux qualifications distinctes ».
Cette décision démontre l’opposition hébergeur/éditeur n’est pas encore figée et que les deux statuts peuvent s’appliquer à un même opérateur sur des aspects différents de leur activité. Si une approche unitaire reste possible, il est dorénavant recommandé aux acteurs de l’Internet de bien prendre en compte les possibilités d’un cumul de ces deux régimes.
Ce jugement du 19 mars 2015 semble ainsi s’inscrire dans un mouvement vers une « réforme numérique ». En témoignent les interventions de Fleur Pellerin qui souhaite voir évoluer le statut d’hébergeur « vers un statut hybride, par exemple pour les grandes plates-formes, qui ne sont ni simplement des hébergeurs ni totalement des éditeurs ».